mardi, juillet 12, 2005

La bulle immobilière 2

Un article intéressant et sans parti-pris d'un économiste hier dans Libé.
Je remarque que le mot "bulle" est de plus en plus utilisé dans les médias. C'est nouveau.

Immobilier, le dilemme de la bulle Par Pierre-Yves GEOFFARD
Pierre-Yves Geoffard est chercheur au CNRS (Delta). lundi 11 juillet 2005

ous êtes locataire, et vous vous demandez si vous n'allez pas franchir le pas, et rembourser un emprunt plutôt que de payer un loyer. Vous êtes propriétaire, et vous hésitez à vendre, peut-être pour racheter plus grand, mais aussi plus cher. Dans tous les cas, les discussions sur l'évolution future du prix de l'immobilier alimentent vos dîners en ville, et vos conversations de bureau autour de la machine à café. Bref, vous êtes dans l'expectative. Lecteur régulier de cette chronique, vous savez désormais que les économistes, sans forcément apporter de réponse à vos interrogations, débattent aussi de toute question qui affecte votre quotidien. Et donc, de l'immobilier.
Qui sait ? Peut-être êtes-vous locataire depuis des lustres d'un appartement appartenant à une banque ou une société d'assurances, cette dernière vous sommant d'acheter votre logement ou de vous en aller promptement ? Vous seriez victime de la forte augmentation des ventes d'immeubles résidentiels «à la découpe» (à Paris, 6 400 appartements en 2004, contre 4 400 en 2001).
Au-delà des conséquences dramatiques pour vous, la recrudescence de cette pratique est un indice assez alarmant sur la santé du marché de l'immobilier. Il révèle un désengagement préoccupant, de la part des investisseurs institutionnels, de l'immobilier locatif ; ce qui reflète une baisse du rendement de ce type d'investissement. En effet, les prix de vente ont augmenté, sur les sept dernières années, de 100 % à Paris, voire de 116 % en région Paca. Or, les loyers n'ont pas connu une telle hausse. Sur une période identique, en effet, ils n'ont augmenté «que» de 25 à 30 %. C'est déjà plus rapide que la faible augmentation du revenu moyen disponible, mais les loyers ne peuvent croître durablement à un rythme plus élevé que les ressources des ménages.
Vous faites remarquer que le même argument devrait s'appliquer au prix d'achat. Là non plus, vous n'avez pas entièrement tort... dans le long terme. Mais, à court terme, les prix de vente peuvent s'écarter, parfois fortement, de leur valeur d'équilibre. Car, même si vous ne pensez pas être un vil spéculateur, votre décision d'achat dépend de vos anticipations sur la valeur future. Et les anticipations des uns dépendent de celles des autres. Le marché est ainsi sensible aux «prophéties autoréalisatrices», mises en évidence par le sociologue Robert Merton dans les années 40. Si tout le monde pense que le prix va monter, chacun achète, ce qui contribue à nourrir l'augmentation du prix ; il était donc rationnel d'anticiper une hausse. Mais de même, l'anticipation d'une baisse des prix nourrit un mouvement de vente, qui alimente la baisse... La coordination des anticipations (sur une hausse ou sur une baisse) est un phénomène assez mal compris par la théorie économique : on ne sait pas bien ce qui déclenche le basculement d'une croyance collective à l'autre. Une hausse du prix qui reposerait uniquement sur les anticipations du prix futur constitue une «bulle spéculative» dont l'inéluctable destin est de périr, soit en se dégonflant gentiment, soit en explosant. Ces bulles sont récurrentes, depuis celle qui s'empara du marché hollandais de la tulipe en 1634, jusqu'à l'enthousiasme récent pour les sociétés Internet. Certes, s'il est facile après coup d'identifier que l'on avait affaire à une bulle, il est bien plus délicat, durant une période de vive hausse des prix, de savoir ce qu'il en est. Pire, même si chacun est convaincu d'avoir affaire à une bulle, il peut être très difficile de «jouer la bulle» : vous aimeriez vendre avant que la bulle n'éclate, mais juste avant, pour bénéficier au maximum de la hausse exubérante...
En ce qui concerne le marché de l'immobilier, de plus en plus d'études pointent que, dans de nombreux pays, les prix sont trop élevés. Certes, les taux d'intérêt ont baissé, et les durées d'emprunt augmenté, ce qui rend le financement d'une acquisition moins chère. En France, on évoque aussi l'impact positif des prêts à taux zéro sur l'accession à la propriété. Mais, d'une part, l'inflation ayant fortement chuté, le niveau des taux réel n'est pas excessivement bas ; d'autre part, le montant maximal sur lequel porte un prêt à taux zéro reste très faible (20 000 euros pour un logement ancien habité par deux personnes, soit... 5 mètres carrés à Paris). Même les professionnels admettent que la hausse ne pourra plus se poursuivre longtemps à ce rythme. Le débat semble être davantage de savoir si les prix se stabiliseront tranquillement (ce que prétend, par exemple, la Fnaim), ou si la correction à la baisse sera brutale.
Une forte baisse peut avoir des conséquences importantes. Si vous envisagez de devenir propriétaire, vous serez ravi d'avoir attendu que les prix redescendent à un niveau plus raisonnable. Mais si vous venez d'acheter, et que les hasards de la vie familiale ou professionnelle vous conduisent à déménager, vous risquez de devoir revendre à un prix plus bas. Au-delà de cette redistribution des richesses, l'éclatement d'une bulle immobilière pèse toujours sur la consommation et, finalement, sur la croissance... Bref, vous n'avez pas fini de parler d'immobilier.

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