mercredi, novembre 16, 2005

Sous le marteau de Me Poulain, un premier achat hésitant

Ah, comment commence une collection ? une passion ? C'est souvent un hasard pur et simple.
Novembre 1995 : Vaguement tintinophile, je ne m'intéresse guère à la bande dessinée ni aux arts graphiques. Je ne m'intéresse pas à grand'chose d'ailleurs à part à la musique. Internet n'existe pas encore (c'est possible ça ?). Au détour d'un journal, je vois qu'est organisée à Drouot une grande vente Reiser (mort en 1983). C'est sa veuve qui se sépare de 200 planches et dessins. Tiens, REISER quand même, un grand bonhomme qui avait tout compris avant tout le monde. Ceux qui n'y connaissent rien ont pu dire qu'il était piètre dessinateur mais ce n'est pas vrai... un style expressif, minimaliste (quoique) qui n'appartient qu'à lui. Allez, je pose l'après-midi et je décide d'y faire un tour, sans idée d'achat, mais quand même avec le chéquier dans la poche arrière du pantalon.
Arrivée à Drouot avec 30 minutes de retard, la salle est pleine à craquer, pas une place, j'arrive à me mettre dans l'embrasure de la porte sur la pointe des pieds. Les pièces défilent. Delfeil de Ton est à la table d'expert, racontant telle ou telle anecdote sur son collègue et ami. Cavanna est là aussi, je crois.
Maître Poulain est une sorte de grand coq BCBG, aux allures de bourgeois coincé mais je vais m'apercevoir très vite qu'il est une véritable iconoclaste, grand amateur de Reiser et d'humour féroce. Il est déchaîné.
Poulain s'arrête à chaque planche, s'étrangle de rire :
"Ah, oui, là c'était cette fameuse couverture de Charlie Hebdo avec les biafrés...oh. Horrible !" dit-il en riant "Un moment d'histoire, vraiment. les médias bien pensants s'en étaient émus"
Durant 3 heures, défilent les planches ou dessins de Mon papa, La vie au grand Air (les animaux), Vive les femmes, Gros dégueulasse, Les copines, Jeanine, La famille Oboulot etc...
Des illustrations, des couvertures, des gags, parfois drôles, parfois tragiques, parfois franchement insensés tant on se demande où il va chercher tout ça.
A chaque fois, Poulain interrompt "Ah là, j'aimerai rester plus longtemps sur celui-là, mais ce n'est pas possible. Regardez ce trait incroyablement noir, cette lippe bourrue, ce nez d'alcoolique. Il rend ça de manière extraordinaire ! Regardez cette femme comme elle a l'air heureuse...en trois traits d'encre. C'est génial" .
Et la salle charmée de bruisser, des mains se lèvent. Une dame BCBG enchérit sur un dessin très cochon. Un monsieur bien propre sur lui remporte l'enchère sur un gag scato pour Hara-Kiri.
Certains dessins s'envolent littéralement dans des prix inattendus. Et imprévisible, car il n'y avait jamais eu de dessins de Reiser vendus.
Poulain continue de plus belle "Mesdames et Messieurs, sont dispersés aujourd'hui de véritables monuments de l'histoire de France d'après 68. Ce sont des pages que tout le monde connait. Tout ceci rentrera dans des collections privées et ne ressortira plus" (il avait raison).
Evidemment, dans une telle atmosphère, comment ne pas se laisser prendre au jeu ?
Comme je n'ai pas le catalogue, pas facile d'anticiper sur les prochaines planches. Je me dis que s'il y en a une qui me plait je me lance. La vente touche presque à sa fin et je vois le savoyard (nom des manutentionnaires à Drouot) qui arrive avec "Parade amoureuse".


Sympa la planche. Aquarellée (donc de la dernière période, Reiser avait découvert assez tard l'aquarelle et s'en amusait comme un enfant), pas trop "hard" donc accrochable dans son salon, bon....allez, je tente.
"Parade Amoureuse" est présentée.... Mon coeur bat très fort. Je lève la main, 2 autres surenchérissent, je relève la main à nouveau. Je l'ai ! Bon, le prix est dans la moyenne. Ca aurait pu être pire.
En tremblant, je sors mon chéquier de ma poche arrière. Quelle aventure !
Je sors de Drouot avec mon précieux colis enveloppé dans un grand sac plastique. Dans le métro, je nargue en pensée les voyageurs en serrant mon sac contre moi "Hum...vous ne devinerez jamais ce que je transporte là, dans mon sac, sans en avoir l'air. Eh eh...une véritable tranche de génie ! Oui mesdames, messieurs. Un truc incroyable. Peut-être 0000,1% seulement des français ont la chance de posséder ce genre de choses". Je suis sur mon petit nuage.
Ca y est, j'ai le virus.


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