
Je suis frappé en ce moment par l'
obsession de nos concitoyens à être
propriétaire de leur logement coûte que coûte,
quel qu'en soit le prix.
Moi, j'ai fait le choix inverse (j'ai vendu mon appartement pour être - pour la première fois de ma vie - locataire à 45 ans), considérant que les prix de l'immobilier à Paris sont aujourd'hui trop décorrélés des fondamentaux économiques.
A travers cette sorte d'obsession, je vois surtout une très forte
angoisse de l'avenir dans notre pays. En quelque sorte, être proprio, c'est se dire
"même si tout va mal, même si j'ai plus de boulot ou une retraite mince, au moins, on ne pourra pas me mettre dehors de chez moi". En d'autres termes, le moteur principal de la bulle immobilière que nous connaissons actuellement en France, c'est
la peur, qui est en général mauvaise conseillère.
Attention, mon objectif n'est pas ici de prôner systématiquement la location par rapport à l'achat ! Je compte d'ailleurs acheter un bien en cas de coup de coeur pour un appartement à un prix que je juge correct.
Mais, ayant moi-même pris dans le visage le krach de 1991 (plusieurs centaines de milliers de francs envolés en 6 ans), je me sens légitime pour faire réfléchir mes jeunes lecteurs : attention, prudence, gardez du bon sens, soyez patients !
Et surtout : ne vous endettez pas sur 25 ou 30 ans pour acquérir un bien médiocre, qui risque de vous mettre très vite en situation de
negative equity lors d'une revente forcée. Il n'y a pas de honte à être locataire et d'attendre un peu malgré la
terrible pression sociale que vous imposeront parents et proches pour qui le statut de locataire est celui du "loser".
Cet état d'esprit est d'ailleurs très français. Nos amis allemands, par exemple, regarderont l'investissement immobilier avec moins d'affect, c'est-à-dire qu'ils y verront une charge comme une autre, une "valeur d'usage". Tout comme il peut être plus intéressant de louer une voiture ou un DVD, plutôt que de les acheter.
Plusieurs exemples autour de moi m'ont frappé depuis une semaine :
- un collègue qui me raconte que sa soeur vient de s'endetter sur 30 ans (!), avec un des crédits pourris du Crédit Foncier (en
faux taux capés : sa mensualité augmentera ainsi que la durée du prêt, l'amenant à payer au final son logement environ 2,5 fois son prix initial).
- une amie de ma douce lui dit qu'elle achète un 2 pièces supplémentaires à 5 km de chez elle, pour régler un problème de sortie d'école pendant 4 ans. A ma remarque "pour 4 ans, il vaut mieux louer", elle répond "ah non ! louer c'est trop cher !"
Il est bien évident que ces deux démarches sont déraisonnables. Elles ne résistent pas à une analyse chiffrée, crayon en main. Ceci dit, les décisions qui engagent toute une vie devraient être les plus calculées, les plus réfléchies. En réalité, c'est tout le contraire : l'immobilier est un marché très psychologique, et à cet égard source de décision parfois
irrationnelles.
Je trouve absolument stupéfiant qu'on parte toujours du principe qu'un loyer c'est de l'argent jeté par les fenêtres. Certes, mais a contrario
acheter, c'est aussi immobiliser un capital important qui pourrait être placé et rémunéré. Donc, entre payer un loyer, et se priver de la rémunération du capital immobilisé, c'est à peu près équivalent.
De plus acheter, c'est se prendre directement 8% de "frais de notaire" de perte sèche, non récupérable. Donc, ce n'est pas intéressant pour une courte période.
Acheter, enfin, c'est aussi le point de départ d'autres dépenses : taxes foncières, charges de copropriété parfois lourdes. Et des frais auxquels on ne pense pas toujours (ravalement, ascenseur) et qui peuvent grimper, alors qu'un loyer est une charge fixe, raisonnable sur ce plan.
L'illusion de la plus-value éternelleBien sûr, quand l'immo est à la hausse, il y a réel espoir de plus-value. C'est ce qui se passe depuis 10 ans. Mais actuellement, on est arrivé en haut de cycle et l'espoir de plus-value est quasi nul pour celui qui achète aujourd'hui. Une moins-value dans quelques années est même très probable.
Aussi, quand le cycle baissier s'amorce, comme maintenant, il peut être plus intéressant de louer pour éventuellement acheter à un prix plus bas en bas de cycle. A condition de pouvoir être patient.

Ceux qui s'intéressent au sujet pourront lire l'intéressant article sur la
bulle immobilière actuelle sur Wikipedia, en particulier le passage sur le tunnel de Friggit (duquel on sort dangereusement), ou sur le
forum de la bulle dont j'ai déjà parlé.
De manière générale, j'ai remarqué que la plupart des gens ont une
culture économique très minime :
1) par exemple,
beaucoup de gens croient que l'immobilier monte en permanence. Peu sont au courant des krachs de 1981-1986 (-30%) et 1991-1997 (-40%). Les médias n'en parlent jamais.
Les lobbies haussiers (FNAIM) qui fournissent leurs données aux journalistes font partir leurs chiffres de 1997, n'exhibant ainsi que des hausses ! La plupart des journalistes n'y connaissent rien, et se contentent de copier-coller. Du coup, ne voyant que les 10 dernières années, les non-initiés pensent qu'il faut encore se dépêcher de prendre en marche le train de la hausse perpétuelle.
L'immobilier est un marché cyclique, les cycles bas suivant nécessairement les cycles hauts.
2) D'autres parlent d'une pénurie de biens à vendre en France, alors que le stock des biens a vendre n'a jamais été aussi important (plus de 1.220.000 d'annonces sur
Seloger, un record !)
Il est vrai par contre que le marché est déséquilibré : la demande est supérieure à l'offre en région parisienne. Il l'a toujours été, même dans les périodes de krachs. En réalité, la demande est là, mais
ce qui manque est la demande solvable. Le marché se heurte immanquablement à la solvabilité des ménages, qui n'est pas extensible et est même directement corrélée à la facilité avec laquelle les banques distribuent le crédit.
Or, depuis 10 ans, les banques ont bataillé pour prendre des parts de marché, financer des crédits de plus en plus longs, de plus en plus incertains. Aujourd'hui, la fête est finie et le robinet du crédit se ferme petit à petit sous l'effet de la crise des subprimes.
La vraie pénurie qui reste est donc la pénurie en
logements sociaux. La pénurie en logements au prix fort n'existe pas. Le nombre de biens à vendre le prouve.
3) Beaucoup de nos concitoyens n'ont pas conscience du coût réel du crédit. Un jour, quelqu'un m'a dit qu'un crédit à 5% conduisait à payer 5% de plus que la capital emprunté ! Peu de gens maitrisent les tableaux d'amortissement, qui conduisent à rembourser
d'abord les intérêts (lourds) et ensuite seulement le capital.
Sur un crédit à 30 ans, on n'a quasiment pas commencé à rembourser le capital au bout de 5 ans !
Bref, l'immobilier est un sujet sur lequel il faut bien s'informer, ce qui n'est pas toujours facile car, du point de vue des professionnels qui en vivent, certaines vérités ne sont pas toujours bonnes à dire. A cet égard,
il faut absolument aller plus loin que les croyances populaires.
Une décision immobilière doit s'analyser sereinement. Oui, il est parfois plus intéressant de louer que d'acheter ! Et il faut aussi savoir faire le "dos rond" en attendant des jours meilleurs qui arriveront forcément un jour dans un marché qui est - par essence - cyclique.

De l'obsession d'être propriétaire coûte que coûte